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Article de Mylène Moisan dans le Soleil

article Mylène Moisan le Soleil

20 janvier 2024

Article de Mylène Moisan dans le Soleil


Chronique|

Mylène Moisan

Québec s’acharne sur les invalides



(Infographie Le Soleil, source 123rf)

CHRONIQUE / Non seulement le gouvernement porte-t-il en appel une décision l’obligeant à corriger une injustice envers les personnes invalides, voilà que le Tribunal administratif du Québec fait volte-face en convoquant celles qui contestent cette injustice et dont le dossier avait été suspendu le temps des procédures.


Elles doivent se présenter en chair et en os, peu importe leur condition physique.

Il faut savoir qu’au Québec – seule province au Canada à agir ainsi –, les citoyens invalides reçoivent une belle lettre de Retraite Québec quand ils soufflent leurs 65 bougies les avisant qu’on leur impose la pénalité prévue pour ceux qui prennent une retraite anticipée, alors qu’ils n’étaient pas en mesure de travailler.


Invalide, le mot le dit.

J’ai écrit sur le sujet fin octobre, je vous racontais l’histoire de Richard McLean, qui a intenté un recours collectif en 2020, deux ans avant de décéder. Son fils Kevin a poursuivi son combat. «Mon père est devenu invalide après avoir fait un AVC à 50 ans et il en fait trois autres après, m’expliquait-il alors. Il est passé de la canne au fauteuil roulant, et puis il a fallu le placer en CHSLD.»

À 65 ans, il a reçu LA lettre.


On lui apprenait que sa rente d’invalidité allait être remplacée par une rente de retraite, amputée. «Comme mon père ne travaillait pas depuis 15 ans, ils ont appliqué la pénalité de 36% pour les retraites anticipées, ils ont considéré qu’il avait pris sa retraite à 60 ans», au même titre que ceux qui disent «bye bye boss» pour se pousser en voiler.


Sans plus de cérémonie, ses revenus ont fondu, passant de 1160$ par mois à 679,29$, soit une diminution de 8140$ par an. Sans la pénalité, il aurait reçu 970,42$. «Mon père disait “si je comprends bien, il s’est produit un miracle, je ne suis plus invalide! Mais je ne suis toujours pas capable de marcher...“»

Selon les chiffres officiels, ils seraient 28 000 comme lui au Québec.

D’où le recours collectif.

De gauche à droite, Richard McLean, sa fille Vicky, sa conjointe (et mère des enfants) Danielle Drolet et son fils Kevin. (Kevin McLean)


Il faut savoir aussi qu’en février 2017, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (CDPDJ) a statué que la pénalité était inconstitutionnelle, qu’il s’agissait de discrimination basée sur le handicap. Puis, en mai 2023, deux juges du Tribunal administratif du Québec (TAQ) ont déclaré «inapplicables et discriminatoires» les deux articles du Régime des rentes touchant ces pénalités.

C’est ce jugement que le Québec a porté en appel, le gouvernement tenant bec et ongles – pour une raison qui m’échappe – à maintenir cette injustice.


Évidemment, à partir du moment où la pénalité de retraite a été battue en brèche par la CDPDJ, des personnes invalides ont porté plainte devant le TAQ pour la contester, pour que la décision de couper leur rente soit cassée. Elles pensaient bien pouvoir enfin crier victoire avec le jugement de mai 2023, mais elles ont dû retenir leur souffle quand Québec a fait appel.

Les procédures sont toujours en cours.


Alors, logiquement, les dossiers de contestation de ladite pénalité déposés devant le TAQ ont été suspendus en attendant la décision de la Cour d’appel, question de ne pas accaparer inutilement ce tribunal advenant le cas où la Cour d’appel rejetterait les prétentions de Québec et confirmerait le caractère discriminatoire de la mesure.


Mais coup de théâtre, des invalides ont reçu une lettre les avisant qu’ils devaient se présenter pour procéder. Par l’entremise de l’accès à l’information, le TAQ confirme qu’«il y a 19 dossiers qui avaient été suspendus et qui ont été ou seront convoqués par le Tribunal». Ce n’est qu’un début, l’ensemble des dossiers devraient procéder. «Comme aucune demande n’a été faite en Cour supérieure pour demander la suspension des autres dossiers devant le Tribunal, les parties sont maintenant convoquées ou le seront.»

Je n’ai pas pu savoir combien il y a de dossiers.


L’avocate Sophie Mongeon, qui représente les invalides gracieusement avec trois autres avocats, n’en revient tout simplement pas. «Ça force des gens démunis, souvent malades, à se rendre en personne. Je suis débordée d’appels, les gens ne comprennent pas ce qui se passe. Au lieu de corriger la situation, le gouvernement persiste dans la bataille. Et qui paye pour tout ça? Leurs avocats, c’est nous ça. Il faut abolir la pénalité, point.»


Tout au plus, le ministre des Finances Eric Girard a fait passer l’an dernier la pénalité de 36% à 24%, comme s’il faisait preuve de grandeur d’âme.


Mais le gouvernement de la CAQ s’entête à pénaliser les invalides, coûte que coûte. En août, questionné par l’animateur Mario Dumont, le ministre Girard a rappelé, dans une réponse écrite, «le contexte très difficile en 1997, lorsque la décision de modifier la rente de retraite d’un bénéficiaire de la rente d’invalidité a été prise. Celle-ci faisait partie d’un ensemble de gestes visant à assurer la pérennité du RRQ et qui ont affecté l’ensemble des participants du régime.»


À l’Assemblée nationale, un mois plus tard, le ministre du Travail Jean Boulet a aussi répété que la mesure était justifiée, il y a 26 ans, «pour garantir la survie du régime, l’acceptabilité sociale et assurer une équité entre les générations de cotisants.»


Justement, ça fait 26 ans. À l’époque, le régime de retraite était dans un état catastrophique, le gouvernement péquiste de Lucien Bouchard avait fait adopter une série de mesures pour renflouer les coffres. C’est Louise Harel, alors ministre de la Sécurité du revenu, qui avait donné le feu vert à la pénalité visant les invalides.


Aujourd’hui, on nage dans les surplus.


Louise Harel regrette amèrement d'avoir imposé une pénalité aux invalides. (Marco Campanozzi/Archives La Presse)


Tiens, je suggère à Eric Girard, Jean Boulet et François Legault de regarder l’émission La Facture diffusée mardi, un reportage de huit minutes cinquante-six secondes qu’on trouve sur le site de Radio-Canada par quelques clics de souris. La journaliste Katherine Tremblay a rencontré Louise Harel, question de savoir ce qu’elle pense de tout ça.


Elle le regrette amèrement.


Elle confie, ce n’est pas rien, que la Régie l’avait assurée qu’au bout du compte, les revenus des invalides n’allaient pas être affectés grâce aux autres prestations. «C’est comme si j’avais toujours pensé que c’était la pension de vieillesse et le supplément de revenu garanti qui allaient venir compenser», a-t-elle admis.

C’était faux.


Et si c’était à refaire, elle n’aurait pas imposé cette pénalité qui s’est avérée injuste. «J’ai passé tout droit, je m’en veux. […] Je pense que la première des choses qu’il faut faire dans une vie, c’est assumer ce qu’on a fait, c’est-à-dire assumer les bons coups – il me semble en avoir fait pas mal –, mais aussi assumer les mauvais coups.»


Et, chaque fois qu’elle le peut, elle se porte à la défense des invalides au front, allant même jusqu’à aller manifester à leurs côtés. «C’est de la discrimination systémique. Il faut que ça se règle de manière collective, systémique, et non pas un cas à la fois devant un tribunal. […] Il n’y a pas de raison que le gouvernement ne cherche pas une solution rapidement.»


Ce serait si simple.

Et juste


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